Bombarder Gibraltar (1/2)

Les suites de l'attaque de Mers-el-Kébir


Beaucoup d'unités de l'armée de l'Air ont été repliées en Afrique française du nord (AFN), avant la fin de la campagne. Pour contrer les évasions, l'ordre est donné, le 1er juillet 1940, de démonter les hélices des avions et de vidanger leurs réservoirs. Mais, les 3 et 6 juillet 1940, dans le cadre de l'opération Catapult, la flotte française est attaquée en rade de Mers-el-Kébir, par une escadre britannique, la Force H ; le 8 juillet 1940, les navires mouillant Dakar subissent également le feu de navires de sa Majesté. L'amiral Darlan et le maréchal Pétain avaient pourtant assuré, à l'oral il est vrai, qu'ils ne laisseraient pas les navires français tomber aux mains des Allemands1. L'article 8 des Conditions d'armistice indiquait également que le gouvernement allemand [...] n'a[vait] pas l'intention d'utiliser pendant la guerre, à ses propres fins, la flotte du guerre française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf les unités nécessaires à la surveillance des ports et au dragage des mines. Ce n'était pas suffisant pour rassurer notre ancien allié, qui voulut des garanties plus sérieuses.

L'aviation française "montre les crocs" :

Une chasse peu efficace

L'armée de l'Air réagit rapidement pour défendre les ports. À partir du 3 juillet 1940, ses chasseurs effectuèrent quelques 180 sorties et abattirent un chasseur embarqué2.  Des hydravions furent eux aussi mis en œuvre, avec un succès fort relatif. Il semble néanmoins, d'après les rapports britanniques, que l'aviation française n'ait pas utilisé ses matériels au maximum de leurs capacités. Certes, un système d'alerte et de guidage a manqué mais les chasseurs français n'ont pas toujours manifesté une grande agressivité, n'utilisant la force qu'en dernier recours. En revanche, les jours suivants, la mansuétude ne fut pas de mise. Ils ne parvinrent cependant jamais à empêcher les attaques de navires. De plus, dès le 4 juillet 1940, le Conseil des ministres décida de ne pas tenter la moindre opération de représailles contre l'Angleterre, dans l'immédiat.

Curtiss H-75, un des chasseurs repliés en AFN et sans doute le modèle le plus présent dans le ciel maghrébin le 3 juillet 1940. C'est à son bord que sera réalisée la seule victoire française.


Infructueuses représailles :

Pourtant, dans la nuit du 4 au 5 juillet 1940, les bombardiers de l'aéronautique navale furent quand-même envoyés attaquer Gibraltar : mais seul quatre sur les treize engagés bombardèrent la cible... De même, l’aviation de reconnaissance fut mandatée pour retrouver la Force H et effectua 35 sorties. Le 9 juillet, dix-sept navires de commerce furent attaqués, sans succès, par les Douglas DB-7 des Groupes de bombardement I/32 et II/32, au large de Casablanca.  Le 10 juillet 1940 en matinée, un Bloch MB 175 du groupe de reconnaissance II/52 repéra les navires britanniques. Les GB I/11 et II/11 furent immédiatement mis en alerte et sommés de se préparer. Neuf LeO 451 prient l'air, mais, malheureusement, les coordonnées transmises par l’appareil de reconnaissance ne furent pas exploitées "correctement" : au lieu de se baser sur le méridien de Greenwich, les bombardier utilisèrent celui de Paris ! le résultat ne se fit pas attendre : la Force H échappa au bombardement...

Les conséquences directes :

Vers une guerre ?

La première des conséquences de cet attaque eut lieu le 5 juillet 1940 : les relations diplomatiques furent rompues entre la France du maréchal Pétain et le Royaume-Uni. Le 13 juillet 1940, le gouvernement britanniques déclara que les avions français seraient désormais considérés comme hostiles et attaqués sans préavis.

Des opérations militaires française furent envisagées contre Alexandrie, où une partie de nos navire était retenue, et Freetown. Une politique agressive à l'égard des colonies britanniques aurait également commencé à germer dans certains esprits3. Une opération de représailles contre Gibraltar fut aussi envisagée ; mais après avoir été reportée la veille, elle fut finalement annulée le 16 juillet 1940.

Le sauvetage de l'armée de l'Air :

Le gouvernement obtint également un assouplissement de l'article 5 de la convention d'armistice. Celui-ci prévoyait la disparition de l'armée de l'Air. Après l'attaque, le maintien d'une force aérienne "conséquente" pour défendre l'Empire face aux "agressions" des "anglo-gaullistes" était  une solution qui satisfaisait et le gouvernement du maréchal Pétain, et les Allemands qui avaient alors d'autres préoccupations. Cette concession fut notifiée au gouvernent français le 5 août 1940. Désormais, même s'il était hors de question d'entrer en guerre contre notre ancien allié, les forces armées françaises s'opposeraient à toute attaque militaire des possessions fidèles à l'État français. La neutralité de l'Empire connaîtrait cependant des entorses...

Moins de recrues pour la France libre !

L’agression de Mers-el-Kébir provoqua également un fort sentiment d'anglophobie et refroidit certaines ardeurs (mais pas toutes). Ainsi, d'après Lionel Persyn, il semble que les commandants des groupes de chasse I/5 et II/5 aient sérieusement pensé à faire passer leurs unités à Gibraltar pour poursuivre la lutte. Toutefois, après ce "coup de poignard dans le dos", il était évidemment hors de question de mettre ce projet à exécution. D'autres exemples de refus peuvent se trouver parmi les troupes présentes en Grande-Bretagne... même si ce n'est pas forcément la seule raison.


Les combats ont fait près de 1 300 morts. Ils ont achevé de refroidir les relations entre anciens alliés, alors qu'elles n'en avaient déjà pas besoin. Compte tenu du respect de Hitler pour les engagements qu'il prenait, on peut comprendre l'attitude des britanniques. D'autres part, il reste des parts d'ombre dans le rôle des exécutants français, notamment pour la transmission de l'ultimatum. Mais cette attaque tomba à point nommé pour le gouvernement du maréchal Pétain car elle lui permit de "sauver" une partie de l'armée française. Il est toutefois difficile d'affirmer qu'elle l'a poussé sur la voie de la collaboration... car il y avait d'autres raison à cela.


Romain Lebourg
Administrateur de la Section Air du Collectif France 40
Membre de France 40 reconstitution et Normandie-Bretagne reconstitution
Auteur du Blog de l'aviation de reconnaissance et d'observation


Tenue :

Évocation d'un aviateur en tenue de toile kaki.

L'uniforme en toile était initialement réservé aux pays chaud. En 1939-40, il servait de tenue pour le temps chaud. Il était de coupe identique aux effets en drap. Outre-mer, le pantalon pouvait être réglementairement remplacé par un bermuda et la vareuse délaissée. Chez les officiers et les adjudants(-chefs), cet uniforme n'était porté qu'en tenue de travail ou de campagne, pas en tenue de ville.

La vareuse n'est absolument pas réglementaire. Toutefois, de tels modèles se rencontrent chez les officiers et adjudants(-chefs). Sur les photos, on observe une grande diversité : les vareuses étaient parfois la copie conforme de la vareuse Mle 1939 de l'armée de Terre. Le port des sandales, avec chaussettes, est également attesté. En arrivant en AFN, certains aviateurs ont panacher cette tenue avec l'uniforme en drap. On pourra ainsi voir des coiffes bleues, des brodequins noirs etc.

Ici, les effets portés sont récents par rapport à la période concernée. Mais en l'absence d'autre chose, il permettent cette évocation.


Notes :
1  Propos tenus le 18 juin 1940 aux amiraux britanniques et le 19 juin 1940 à Lord Lloyd et lord Alexander, à Bordeaux. Le 24 juin 1940, l'amiral Darlan avait enjoint ses commandant de navires à ne pas livrer leur bâtiment à l'ennemi ; le surlendemain, il leur donnait l'ordre de se saborder en cas de tentative de saisie par les Allemands.
2 Blackburn Skua L2915 du No. 803 Squadron, abattu le 3 juillet 1940 par le sous-lieutenant Paul Boudier du GC II/5. Le petty officer airman Thomas Riddler (pilote) et le naval airman 1st class Horace Chatterley (mitrailleurs) sont tués. Deux autres Skua, un Short Sunderland et deux Fairey Swordfish ont également été endommagés en combat.
3 Robert Paxton cite notamment une note rédigée le 10 juillet 1940 et retrouvée par le service renseignement allemand sur le bureau du général Huntziger : l'attaque des installations pétrolières d'Irak par l'armée française en est le sujet.

Sources :
  • Amouroux Henri, Pour en finir avec Vichy : 1. Les oublis de la mémoire 1940, Robert Laffont, 1997
  • Ehrengardt Christian-Jacques et Shores Christopher, L'avaition de Vichy au combat : les campagnes oubliées 3 juillets 1940 - 27 novembre 1942, éd. Lavauzelle, 1985
  • Facon Patrick, L'histoire de l'Armée de l'air : une jeunesse tumultueuse (1880-1945), coll. Docavia n°50, éd Larivière, 2004
  • Gréciet Vincent, Combats fratricides en Afrique : Mers-el-Kébir, Dakar, les premiers ps des FAFL en Afrique, Batailles Aériennes n°26, octobre-novembre-décembre 2003
  • Paxton Robert, La France de Vichy : 1940-1944, coll. Histoire, éd. Points, 1999
  • Persyn Lionel, Les Curtiss H-75 de l'armée de l'Air, coll. Histoire de l'aviation n°22, éd Lela Presse, 2008
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