La chasse aux chars allemands

Arrêter les Panzern !


Connaissez-vous Saumont-la-Poterie ? Ce village du pays de Bray est situé à un peu moins de 7 km au sud-est de Forges-les-Eaux. Le 8 juin 1940, il vit deux appareils français s’abattre sur son territoire. Le premier était un Potez 63-11 du GAO 510 et le second un Morane-Saulnier MS-406 du GC II/2. Mais ce dernier n’a pas été abattu en combat aérien : il a été utilisé à contre-emploi !

La ruée vers Rouen des chars allemands :

Le 7 juin 1940, les chars de la 7. Panzerdivision étaient arrivés dans le secteur de Forges-les-Eaux – Gournay-en-Bray. Dans la matinée du 8 juin 1940, ces blindés se mirent en route vers la vallée de l’Andelle. Leur objectif était simple : feindre d’attaquer Rouen par l’est, puis obliquer en direction d’Elbeuf pour y traverser la Seine. Sur leur passage, il n‘y avait que quelques troupes britanniques faiblement armées établies sur le petit affluent, puis un groupes francs motorisés de cavalerie, à Boos.

Carte détaillant les mouvements des unités allemandes et les bombardements français

Dans le même temps, la 5. Panzerdivision partaient de Forges-les-Eaux pour rejoindre Buchy puis la N28 reliant Bergues à Rouen, via Abbeville. Son but était d’aborder Rouen par le nord. Comme son homologue, elle ne devait trouver sur son passage que quelques troupes britanniques et françaises, organisées en bouchon dans les villages mais à l’armement trop limité. En effet, le 90e Régiment d’infanterie, retiré de l’Andelle le matin, n’eut que peu de temps pour installer ses positions défensives.

Il fallait donc ralentir la chevauchée fantastique des Panzer en Normandie par d’autres moyens. Et pour cela, il ne restait quasiment plus que l’armée de l’Air…

Casser du char allemand à tout prix :

Mais de quoi disposait-on ? Les Allemands attaquant sur plusieurs points du front, les bombardiers avaient fort à faire. Le Groupement n°1, basé dans l’Eure, n’avait que… dix-sept Glenn Martin M.167-F en état de vol, ce qui laissait bien d’opportunités…

Heureusement, depuis quelques jours, on avait une idée de « génie » ! Puisque le Morane-Saulnier MS-406 s’avérait dépassé comme chasseur pur, on pouvait l’utiliser comme avion d’attaque au sol ! Avec son canon de 20 mm, il pouvait bien faire le travail ! Pour faire bonne mesure, on décida d’employer également les Dewoitine D. 520 de la 5e escadrille du Groupe de chasse III/3, repliée à Illiers-l’Évêque ! mais l’unité attendit en vain les obus explosifs qui n’arrivèrent qu’en soirée.

C’est au Groupement de chasse n°23 que l’on demanda de fournir les appareils. Depuis le 5 juin 1940, le GC I/6 était mis à contribution pour ce genre de mission. Pour l’opération, on lui adjoignit tous les moyens disponibles du GC II/2, ainsi que douze MS-406 du GC III/7 et un MS-406 et un D.520 du Centre d’essai du matériel aérien. Cette force de frappe fut regroupée sur le terrain de Lognes – Émerainville, base du I/6. C’est au Cdt Georges Tricaud, patron du groupe, que revint l’organisation des attaques. Le plan était simple : des patrouilles de deux à trois chasseurs devaient se succéder de façon à forcer les véhicules allemands à s’arrêter le plus fréquemment possible.

Pas moins de trente-cinq missions furent effectuées entre 5 h 15 à 18 h 30, ce qui représente cinquante et une sorties. Les attaques se faisaient en vol rasant (entre 20 et 50 m) au canon de 20 mm et aux mitrailleuses de 7,5 mm ; mais dans l’après-midi, les chasseurs reçurent l’ordre de n’utiliser que le canon, pour garder des munitions en cas d’attaque de la chasse ennemie. Bien évidemment les colonnes blindées allemandes étaient bien protégées par la DCA : le résultat de ces attaques put rarement être observé par les pilotes, même si certains effectuèrent plusieurs passes. Notons, qu’à aucun moment de leur formation ou de leur entrainement n’était prévu d’entraînement au tir air sol !

Un MS-406 en vol, durant l'automne 1939. Cet exemplaire servait au GC III/2

Seuls cinq avions furent abattus mais bien d’autres rentrèrent endommagés à des degrés divers et souvent sévères. Trois pilotes trouvèrent la mort. Parmi eux, se trouvait le capitaine Charles d’Abbadie d’Arrast, du GC II/2. Sa patrouille attaqua les chars allemands vers 8 h 30, dans le secteur de Forges-les-Eaux. Le MS-406 du pilote français fut abattu par la Flak et s’écrasa à Saumont-la-Poterie ; selon le site Mémoire des Hommes, l’officier français fut fusillé… mais, en réalité, peut-être disparut-il dans l’écrasement de son appareil. Ses deux ailiers purent regagner Lognes. Plus tard dans la journée, le groupe perdit également l’adjudant René Marconnet, tandis que le GC I/6 déplora la mort du Capitaine Xavier Poilloüe de Saint-Mars.

 

Bilan :

Les pertes furent donc relativement légères alors que les appareils évoluaient à la merci des canons légers et des mitrailleuses. Mais pour quels résultats ?

Les pilotes revendiquèrent des coups au but. Cependant, en l’absence d’archives allemandes, il est difficile d’établir un bilan des destructions occasionnées par les attaques françaises (mitraillage des MS-406 et bombardement du Groupement n°1). Il semble également que seules les « bases de départ » furent attaquées et non les têtes de colonnes. Quoiqu’il en soit, les appareils français ne réussirent pas à stopper la course des blindés :

  • la 5. Panzerdivision avait atteint Bois-Guillaume, sur les hauteurs de Rouen ; seule la nuit retint le général Lemelsen de lancer ses troupes à l’assaut de la ville aux cent clochers.
  •  la 7. Panzerdivision atteignait Elbeuf ; le pont enjambant la Seine sauta sous les yeux du général Rommel.

De plus, la 5e escadrille du GC III/3 attendit l’arme au pied toute la journée. Or cette unité étant équipée de modernes D.520, elle aurait certainement été plus utile pour couvrir la région et contrer les bombardements allemands. C’est un autre échec à porter au crédit des chefs ayant commandé cette opération !

Dès le 9 juin 1940, les missions de mitraillages de chars allemands cessèrent. Elles ne reprirent, par la force des choses, qu’à la fin du mois de juin, dans la vallée du Rhône.


Romain Lebourg
Administrateur de la Section Air du Collectif France 40
Membre de France 40 reconstitution et Normandie-Bretagne reconstitution
Auteur du Blog de l'aviation de reconnaissance et d'observation

Uniforme :

 

Évocation d'un pilote de MS-406.

Il porte la combinaison de vol dite « lourde ». Fabriquée par la société Lemercier, cette combinaison était en toile ignifugée, doublée et rembourrée. Ce n’est pas le modèle le plus répandu en 1939-40, mais on l’observe dans certains groupes, comme au GC III/7. Elle fut encore utilisée après-guerre.

Il porte également un tour de cou en laine provenant du commerce, les gants de vol et un béret. Son casque Airelle type 11 est dans les mains. Il a installé son étui (à revolver) simplifié à la ceinture de sa combinaison. Bien qu’obligatoire pour les vols de guerre, la présence d’une arme de poing est rarement observée sur les photographies.

L'appareil en arrière-plan est un D.3801. C'est le dernier appareil de la famille du MS-406 encore en état de vol. Il se rapproche d'avantage du MS-410.


Sources :
  • Journal de marche et d’opération du GC III/3
  • Collectif, Le Morane-Saulnier MS-406, coll. Histoire de l'aviation n°5, éd. Lela Presse, 1998
  • Comas Matthieu, La campagne de France (3e partie) : vers la défaite 5 juin – 25 juin, Batailles Aériennes n°10, octobre-novembre-décembre 1999
  • Cornwell Peter, The Battle of France then and now, éd. After the Battle, 2007

Remerciement à M. Brument du musée de la résistance et de la déportation de Forges-les-Eaux

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