Femmes sous l'uniforme

Des femmes pilotes dans l'armée de l'Air ?


Un lent cheminement

En 1939-40, l'armée française est très peu féminisée. À ma connaissance, l'armée de l'Air ne l'est pratiquement pas. Pourtant, ce n'est pas faute de volonté des femmes... voire des autorités.

Convaincre les décideurs :

La loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre  prévoyait en effet l’engagement des femmes volontaires dans la défense passive ou les administrations et établissements publics. Dès la mobilisation, un certain nombre d'entre elles furent engagées, principalement dans les usines ou dans le domaine sanitaire (infirmière, conductrices...). Un peu avant, dans la revue Minerva du 6 août 1939, la pilote Madeleine Charnaux avait appelé à la création d'un corps auxiliaire féminin de l'aviation. Les quelques 150 femmes pilotes recrutées auraient alors été utilisées pour effectuer des vols sanitaires ou postaux en temps de guerre : cela aurait ainsi permis de décharger les hommes de certaines tâches.

Pour certaines aviatrice en effet, leurs compétences pouvaient être employées à soulager les hommes en effectuant des missions de liaison ou de convoyage (un service très peu développé par ailleurs). Le ministre de l'Air et le chef d'état-major général de l'armée de l'Air se montrèrent réceptifs à leur proposition. Durant l'automne, cinq femmes furent recrutées, à titre bénévole, au sein de la Division d'avions de liaison de l’administration centrale (DALAC), pour convoyer des avions légers. En outre, dès le mois de novembre 1939, un décret fut mis en projet pour autoriser les femmes à s'engager comme pilote auxiliaire, sous conditions de bénéficier d'un certains nombre d'heures de vol. Mais il ne fut signé que le.. 27 mai 1940 ! Un recrutement de 100 femmes était prévu, pour assurer le convoyage d'avions de faible puissance en service dans les écoles de pilotage et centres d’instruction1. Il était malheureusement trop tard pour qu'il eût un quelconque effet, d'autant qu'une période de formation et d’évaluation était prévue avant affectation.

Pour avoir un point de comparaison, on peut se référer à la situation outre-Manche. Dès 1939, les femmes furent admises à rejoindre les rang de l'Air Transport Auxiliary (ATA), l'organisme de convoyage des avions militaires : les premières volontaires furent incorporées au mois de décembre et le recrutement se poursuivi en 1940.

Le cas de Claire Roman :

Parmi les premières femmes admises au sein de la DALAC, figurait donc Claire Roman, une célèbre aviatrice d'avant-guerre. C'est la seule femme connue pour avoir été incorporée dans l'armée de l'Air. Conformément au décret du 27 mai 1940 qui ne prévoyait ni grade, ni rang dans la hiérarchie militaire2, elle fut assimilé au grade de sous-lieutenant3. Néanmoins, elle fut dispensée de la période de stage probatoire imposée par l'article 3 du décret, ce qui lui permit d'entrer en action rapidement. Elle fut aussi, à notre connaissance, la seule femme à être citée à l'ordre de l'armée aérienne et décorée de la Croix de guerre avec palme.

Dessin de profil d'un NAA 57, appareil sur lequel s'évada Claire Roman.
La livrée de l'appareil et ses marques nous sont inconnues.

Le 18 juin 1940, elle décolla de l’aérodrome de Landes-de-Bussac, en direction de Rennes. Mais la ville était déjà aux mains des Allemands et l'aviatrice fut promptement capturée. Elle parvint néanmoins à échapper à leur surveillance et s'enfuit à vélo jusqu'à l'aérodrome de la Baule - Escoublac. Là, elle avisa un North American NAA 57 d'entraînement avancé et s'en empara pour rejoindre Landes-de-Bussac. Son chef de corps, le commandant André Leleu, la proposait immédiatement pour une citation : le lendemain, 23 juin 1940, l'ordre ministériel n°5 la récompensait de la Croix de Guerre avec palme.

D'autres femmes ?

Il est possible que d'autres aient servi dans des unités de l'armée de l'Air, sans que la moindre trace en ait été véritablement gardée. Un exemple a été récemment mis au jour dans une section estafette ; mais faute de trace dans les archives connues, on ne peut en dire davantage sur son parcours.

D'autres femmes servirent hors de l'armée : on a l'exemple de Maryse Hilsz, recrutée par la DALAC, qui convoya des appareils pour Amiot et aurait peut-être fait traverser la Méditerranée à l'un d'eux avec les unités du Groupement de bombardement n°9. Maryse Bastié, elle aussi "membre" de la DALAC, a peut-être effectué le même type de mission pour Morane-Saulnier (sans traverser la Méditerranée).

On ignore en revanche comment l'IPSA Berthe Finat et Paulette Bray-Bouquet ont été employées après leur "recrutement" par la DALAC.

La tenue :

Il n'y a en a pas ! Et il est difficile d'en présenter une évocation :

L'article 10 du décret du 27 mai 1940 fixant le statut des pilotes féminins de l'air prévoyait que l'uniforme serait décrit par une instruction du ministre de l'Air ; il reste à la retrouver (si elle existe encore) ; il semble que, dans l'attente de réceptionner son uniforme, Claire Roman s'en soit confectionné un à partir d'effets civils ; aucune photo ne semble cependant en exister...

Les effets de vol devaient être ceux de l'armée de l'Air... sans certitude absolue.

Le travail de reconstitution, en la matière, est donc compliqué voir impossible actuellement pour la section Air.


Romain Lebourg
Administrateur de la Section Air du Collectif France 40
Membre de France 40 reconstitution et Normandie-Bretagne reconstitution
Auteur du Blog de l'aviation de reconnaissance et d'observation

Notes :
1 Décret du 27 mai 1940 fixant le statut des pilotes féminins de l'air, article 1
2 Décret du 27 mai 1940 fixant le statut des pilotes féminins de l'air, article 5
3 Décret du 27 mai 1940 fixant le statut des pilotes féminins de l'air, articles 8 et 9

Sources :
  • Journal officiel de la République française n°163 du 13 juillet 1938, n°136 du 30 mai 1940 et n°167 du 11 juillet 1940
  • Covalleri Gilles, Mais qui se souvient de Claire Roman ?, Aerocherche
  • Nicolaou Stéphane, Claire Roman première aviatrice militaire française, Pégase n°113, 2e trimestre 2004
  • Ribiero Jérôme et Ledet Michel, L'amiot 143 : de l'Amiot 140 à l'Amiot 150, coll. Profils Avions n°18, éd. Lela Presse, 2013
  • Villatoux Marie-Catherine, Femmes et pilotes dans l'armée de l'Air, Journals openedition
  • site Internet du RAF Museum


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